Un film de Takeshi Kitano
Pays d'origine Japon
Durée 1h53
Sortie en France 30/04/2003

Avec
Hidetoshi Nishijima (Matsumoto)
Miho Kanno (Sawako)
Tatsuya Mihashi (Hiro, le patron)
Chieko Matsubara (la femme dans le parc)
Kyoko Fukada (Haruna, la pop star)
Tsutomu Takeshige (Nukui, le fan)

Scénario Takeshi Kitano
Musique Joe Hisaishi
Production Masayuki Mori et Takio Yoshida
Distribution Ad Vitam




 

Dolls
 
Les captifs amoureux
 

03/05/2003
Jamais là où on l’attend, Takeshi Kitano vient encore une fois de signer un très grand film, confirmant sa place d’auteur international majeur, à la fois accessible et déroutant. Son dernier opus, « Dolls », déconcertera peut-être certains fans de ses chefs d’œuvre les plus connus mais n’étonnera pas ceux qui ont vu en lui, un des grands cinéastes mélancoliques et contemplatifs de la dernière décennie. Les fusillades stylisées ont disparu mais l’émotion n’en ressort que plus pure et plus belle.

Trois couples en suspens

Plaçant d’entrée son film dans la filiation des spectacles traditionnels de poupées du théâtre Bunraku, Kitano nous conte trois histoires d’amour intense et tragique. Au cœur de ces trois récits parallèles, se situent trois couples qui se croisent sans se voir, perdus à jamais dans leur monde. Trois couples aux prises avec le temps, dévoreur de vie et d’amour.
Le couple principal, qui traverse lentement le film, l’espace japonais et notre imaginaire de spectateur, est relié par une corde rouge. Il erre sans un mot, mu par un étrange hasard. Ces deux là se sont aimés simplement et follement mais le poids social les a éloignés. Pour expier cette faute, le jeune homme, qui a trahi ce bonheur, quitte tout le jour de son mariage, pour rejoindre son ancien amour, devenue quasiment autiste à la suite d’une tentative de suicide. Magnifique parabole sur le jeu des contraintes qui pèse sur chacun dans la société, sa fuite devient dérive puis chemin de croix. L’errance silencieuse des deux amants constitue le seul moyen de régénérer leur couple et de retrouver la sensation de liberté perdue. Kitano nous livre peut-être à l’écran une méditation très personnelle sur la place de l’artiste, éternellement pris dans un faisceau de pressions et n’aspirant qu’à la fuite solitaire.
Les deux autres couples du film sont tout aussi émouvants. L’un réunit à nouveau, après bien des années de séparation, un vieux yakuza et son amour de jeunesse. Cette dernière avait promis de l’attendre chaque samedi sur le banc où elle lui apportait jadis de la nourriture. Elle ne faillit jamais, patiente et fidèle. Le yakuza, lui, a accompli sa vie dans la violence et le sang mais à l’heure de la mort prochaine, il revient, comme une évidence, sur les lieux de cet amour enfoui dans les méandres du temps.
Le dernier couple n’en est pas vraiment un car il n’associe les deux personnages que très peu de temps. Mais la relation inconsciente qui les réunit n’en est pas moins forte puisqu’il s’agit d’une jeune chanteuse de pop adolescente et de son plus grand fan. Ce dernier vit mal d’être en concurrence avec un autre admirateur alors qu’il n’existe que par et pour cette chanteuse. Tout bascule le jour où elle subit un grave accident, la défigurant à jamais. N’ayant vécu que par l’image radieuse qu’elle offrait à son public, elle se retire du monde et refuse la moindre visite. Mais son fan ultime ira jusqu’au sacrifice pour ne conserver d’elle que le souvenir intact de sa splendeur. Il pourra ainsi l’approcher, lui donnant par la même, la plus belle preuve d’amour.

Vertiges de l’amour

« Dolls » est bien un film merveilleux dans le sens premier du terme. Il nous donne à voir la beauté du monde sans jamais tomber dans la mièvrerie, l’écueil majeur de ce type de projet. Kitano filme magnifiquement les plus beaux ornements de la nature japonaise mais ne se perd pas pour autant dans le décoratif sans âme. Les couleurs éclatent de toute leur vigueur et font écho à la profondeur humaine. L’auteur de « Hana-Bi » se fait peintre des sentiments, en puisant dans tout le nuancier et sans jamais forcer la dose. Epuré jusqu’au vertige, « Dolls » est rempli d’ellipses qui sont comme autant de béances temporelles dans lesquelles le spectateur voyage. Kitano retrouve l’alliage rare de la tristesse infinie et du bonheur le plus serein, le plus fugace mais aussi le plus durable. L’émotion est constamment là mais ne nous prend jamais en otage. On a vraiment trop peu l’occasion de voir des films aussi purs, aussi simples, qui ne jouent à aucun moment la carte de second degré, qui a tant pollué le cinéma contemporain. Pas d’effets de manche, de roublardise ou de ricanements mais juste la ronde éternelle de l’amour.

.::Samuel
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