Un film de Jim Jarmusch

Avec
William (Bill) Blake (Johnny Depp)
John Dickinson (Robert Mitchum)
Nobody (Gary FARMER)
John Scholfield (John Hurt)
Charlie Dickinson (Gabriel Byrne)
Salvatore « Sally » Jenko (Iggy Pop)
Cole Wilson (Lance Henriksen)

Scénario Jim Jarmusch
Musique Neil Young
Production Demetra J MacBRIDE - Pandora / JVC /
Distribution Bac Films




 

Deadman
 
Une réussite... a postériori
 

11/06/2001
Voila l'un des films les plus déstabilisants qu'il m'ait été donnés de voir, de ceux qui laissent perplexe, entre objectivité admirative (ressentie tout du moins) et subjectivité agacée. La dualité des relations fond-forme, ce n'est pas tout neuf. Tavernier et Coursodon (50 Ans de Cinéma Américain) entre autres, l'évoquaient avec Ridley Scott, et Jarmush pour sa part remet remarquablement le débat sur le tapis.
Pourtant ici c'est différent. Lorsqu'on parle de Scott, qu'il s'agisse d'Alien, Blade Runner ou Gladiator, fond et forme marchent dans le même sens, dans la mesure ou l'un ne dévore pas l'autre (même si l'un prend le pas sur l'autre) mais que tous 2 contribuent à créer le film de genre.
Dead Man (et j'ai le même sentiment avec Ghost Dog) est plutôt une déconstruction acharnée, ici, du Western. Pour ainsi dire, une mise à mort, post-mortem.
Impossible par ailleurs de comparer cet aspect du film avec, par exemple, les westerns de Peckinpah, bien connus pour constater la fin du mythe de l'Ouest (donc la raison d'être du Western) tout en redonnant par la même un sens au genre.
Dead Man ne redonne pas vie au Western mais procède à son autopsie implacable et consciencieuse, un exercice habile, certes, mais quelque part stérile.
Et ce qui déstabilise, c'est justement ça : la conscience d'un vrai savoir-faire, et l'absence de goût pour celui-ci.

En plein cœur

William Blake, comptable de son Etat, quitte la civilisée Cleveland pour l'hostile et reculée ville de Machine. A son arrivée, le poste que le magnat local lui avait promis est occupé, et le jeune désœuvré atterrit finalement dans le lit d'une belle marchande de fleurs en papier. Entre alors en scène, et surtout dans la chambre en question, l'ex-amant de la belle, un allumé de la gâchette. Comme il a le sens des économies (normal, c'est le fils du fameux magnat local), il fait coup double en logeant la même balle dans la poitrine et de sa dulcinée, et de Bill en dernier lieu.
Tout irait pour le mieux dans le pire des mondes, si ce n'est que pour sauver sa peau trouée, Bill flingue l'amant jaloux, ce qui rend le Papa d'humeur furieusement vengeresse… mais surtout parce que Blake chevauche dans sa fuite le cheval de son fiston, donc celui de Papa Dickinson.

Retour simple

Le train chemine vers Machine. Les gens débarquent, embarquent, les costumes changent sensiblement, les stations défilent, les citadins ont disparus, remplacés par des trappeurs, et William Blake, dans son costume de ville raye, se dirige perceptiblement vers le terminus. Si la direction du train symbolise une résurrection du western, celle-ci n'est qu'une illusion trompeuse et le sens est en réalité tout autre. Quand Blake arrive à Machine, déjà la désolation est éloquente, le héros d'un autre monde passe devant les autochtones qui paraissent morts (en vie, mais pas vivants). A la fin au contraire, lorsque William vogue en barque et que les Indiens (en mouvement) le dévisagent, le rapport est inversé, ils sont tels une peinture vivante, et lui semble vide de toute vie, comme si l'Ouest, phénomène du passé, absorbait toute la vie de ceux qui se frottent à lui.

W ou le souvenir du Western

Les thèmes sont " westerniens " par excellence : un Puissant détient une ville (Mitchum !!) et y fait la loi. Le papier ne représente rien (le contrat signe a Bill n'est rien pour Dickinson, on en fait plutôt des fleurs…), c'est une vie à l'ancienne qui y règne, avec ses codes d'honneur, ses chasseurs de primes, ses têtes mises a prix, l'absence de justice effective, l'ombre planante de la fatalité. Comme dans de nombreux westerns, un homme (quasiment innocent) est pourchassé par des chasseurs de prime, trouve un allié (en la personne d'un Indien qui parle anglais !!!), contrairement à nombre de westerns, le désir de vengeance est du coté du " méchant ".

Mais ces codes sont utilises pour être mieux dévorés par Jarmush qui use en virtuose l'art de l'absurde.

Les personnages, d'abord, sont pousses au ridicule. Qu'il s'agisse de Blake (l'idiot de l'histoire en fin de compte), de Dickinson (Dick-inson), des chasseurs de primes, de l'Indien et ses monologues vides de sens (" my name is Nobody "…), leurs traits de caractère sont de véritables caricatures.
De même, la trame du film en elle-même est absurde, et les situations (souvent des contre-situations) encore plus ! L'élan de romantisme (Jarmush filme avec lenteur les échange de regards) est brisé par un " Hey Bill, do you have tobacco ". Si Blake est pourchassé, ce n'est pas parce qu'il a tué le fils de Dickinson mais parce que ce dernier veut retrouver son cheval qui, de l'avis de tous, n'est rien de plus qu'une vieille canne. Si Nobody aide William, qui d'ailleurs ne cherche pas vraiment à se sauver au plus vite, c'est qu'il le prend pour le poète (dont Blake n'a d'ailleurs jamais entendu parler), mais il le prépare à la mort plutôt que de le soigner. Les dialogues sont également caricaturaux (rapport aux dialogues communs) : les monologues de Nobody, mais aussi l'histoire de Boucle d'Or, le " I have never loved you " de la marchande de fleurs…, tout, jusqu'aux noms propres, n'est qu'absurdité.

Et Jarmush, filmant en noir et blanc (ce qui renforce le caractère irréel et le goût du passé), suit les conventions du genre qu'il met à mort (coupures, contre-plongées, plans longs…), son personnage qui se transforme peu a peu en héros de l'Ouest agonisant, quand ses protagonistes traditionnels sont trop fatigués, héros apportant l'apocalypse avec le vent de la civilisation dont il s'éloigne lui-même.

La fin, d'ailleurs, tient toutes les promesses de ce film maîtrise de bout en bout : l'affrontement/non-affrontement, l'usage du tabac enfin, bouclent la boucle.
Finalement et bizarrement je me demanderais presque si ce n'est pas plus un hommage qu'une mise a mort…
Etrangement, ce film est a posteriori une vraie réussite. Pourtant que d'ennui pour aboutir à la fin d'un personnage déjà mort, et que de cadavres inutiles sur sa route qui aurait pu être abrégée bien avant

NB : Le film est étrange est fort. Parfois (surtout au début) les mouvements des personnages, les rythmes, rappellent un peu Chaplin dans la façon de filmer.


.::Sophie
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